Insecurity Insight a récemment publié un nouveau manuel sur la gestion des risques de sécurité dans le secteur de la santé. Christina Wille explique pourquoi il est si urgent d'agir...
Un nouveau manuel pour protéger le personnel de santé
Les soins de santé doivent être protégés contre la violence. Mais trop souvent, le personnel de santé est pris pour cible ou attaqué. Pour y remédier, Insecurity Insight a récemment publié un nouveau manuel sur la gestion des risques de sécurité, spécialement conçu pour le secteur de la santé.
Ce manuel propose des recommandations essentielles à l’attention des responsables de programmes de santé et des ONG collaborant avec des partenaires de première ligne. Il met également à disposition des outils pratiques pour renforcer la gestion des risques liés à la sécurité dans le secteur de la santé.
En suivant les orientations de ce manuel, les ONG peuvent intégrer plus efficacement les considérations de sécurité dans leurs accords de partenariat et leurs budgets, en y incluant des activités spécifiques. Cela contribue à la mise en place de services de santé plus sûrs et plus résilients.
Par ailleurs, le manuel vise à renforcer les capacités des partenaires locaux en leur fournissant des conseils adaptés à leurs contextes et défis particuliers. Il constitue ainsi un outil clé pour ancrer localement la gestion des risques de sécurité, et favoriser une prestation de soins plus sûre et durable pour toutes et tous.
Pourquoi avons-nous besoin d’une sécurité spécialisée pour le secteur de la santé ?
Insecurity Insight a élaboré ce manuel en réponse aux risques spécifiques auxquels le secteur de la santé est confronté en période de conflit. Ces défis appellent une approche de gestion des risques de sécurité à la fois ciblée et adaptable.
L’un des aspects particuliers du secteur de la santé réside dans la nécessité d’une prestation en présentiel. Les professionnels de santé doivent voir et soigner physiquement les patients, ce qui les empêche de travailler à distance, même dans les environnements les plus dangereux. Leur présence sur le terrain, inhérente à leur mission, les expose donc à des risques accrus.
De plus, les établissements de santé doivent rester ouverts et accessibles à tous les patients. Contrairement à certains acteurs humanitaires qui peuvent adopter une stratégie de « bunkerisation » — en exerçant leurs activités à l’abri de structures fortifiées protégées par des gardes armés — les services de santé ne peuvent ni fonctionner comme des centres sécurisés, ni appliquer des protocoles de sécurité comparables à ceux des aéroports. Des mesures excessivement restrictives pourraient non seulement décourager les patients, mais aussi ralentir les soins, avec des conséquences potentiellement fatales.
Par ailleurs, les professionnels de santé peuvent devenir des cibles pendant les conflits. En fonction des patients qu’ils soignent, ils peuvent être perçus comme favorisant un camp particulier. Leur rôle les conduit également à recueillir, parfois involontairement, des preuves de violations liées au conflit. Par exemple, les taux de malnutrition observés lors des consultations peuvent constituer des éléments d’information sur la survenue d’une famine dans une région donnée. Ces réalités peuvent exposer les soignants à des arrestations arbitraires ou à des attaques, tandis que les établissements eux-mêmes peuvent devenir des cibles pour des groupes armés.
Les travailleurs locaux sont les plus touchés par la violence des conflits
Les agences internationales jouent un rôle unique et essentiel dans le soutien au secteur de la santé en période de conflit. Cependant, la majorité des services de santé de première ligne et de proximité sont assurés par des organisations locales, souvent en dehors du cadre humanitaire formel. En temps de crise aiguë, des services de santé bénévoles ou informels sont également largement sollicités. Ces acteurs comblent des lacunes critiques, en atteignant des communautés qui, autrement, seraient privées d’accès aux soins.
Le suivi de l’insécurité mené par Insecurity Insight met en lumière une réalité alarmante : les travailleurs de la santé locaux sont les premières victimes des violences liées aux conflits. Il est bien établi que les employés nationaux des ONG internationales représentent une part importante des travailleurs humanitaires tués. Toutefois, les données révèlent une tendance encore plus préoccupante chez les professionnels de santé non affiliés à des agences d’aide internationales.
Entre le 1er janvier 2023 et le 31 octobre 2024, sept travailleurs de la santé internationaux ont perdu la vie. À titre de comparaison, 69 membres du personnel national employés par des ONG internationales ont été tués. Plus frappant encore, 1 292 travailleurs de la santé, n’étant pas directement employés par une agence d’aide internationale, ont été tués dans des contextes de conflit. Cela représente 87 % du total des décès, un chiffre stupéfiant qui souligne la vulnérabilité extrême de ces soignants locaux.

Explication de la disparité des décès de personnel de santé
Comme le montre le graphique ci-dessus, le fossé entre les décès de travailleurs humanitaires parmi les prestataires internationaux et nationaux est énorme. Un facteur à l’origine de cette disparité semble être la différence dans le type de soins de santé fournis par les prestataires internationaux et nationaux pendant les conflits.
Les agences internationales mettent généralement en œuvre une gestion des risques de sécurité qualifiée et dédiée, adaptée aux déploiements de soutien spécialisés à court terme. En effet, une grande partie du travail des organisations internationales se concentre sur :
- L’envoi de personnel spécialisé ou la formation professionnelle dans les zones touchées par des catastrophes ou des conflits.
- Le soutien aux établissements ou programmes de santé par des dons, en particulier dans les conflits prolongés.
- L’organisation de la logistique pour les fournitures médicales, les évacuations médicales ou les transferts dans les zones touchées par des conflits.
En revanche, les partenaires locaux fournissent généralement des soins de santé de première ligne. Ils sont donc plus exposés aux risques. Ils ont besoin de mesures de sécurité qui tiennent compte de l’interaction continue avec les communautés et, dans de nombreux cas, avec les acteurs armés. Ils sont confrontés à des défis uniques liés à :
- La prestation de soins essentiels dans des établissements de santé, souvent proches des zones de combat et sans sécurité de l’emploi.
- La conduite de campagnes de sensibilisation dans les communautés, y compris les campagnes de vaccination.
- La gestion des opérations quotidiennes des petits postes de santé éloignés.
- Vivre au sein de communautés désignées comme « ennemies » et souvent en être originaires.
Pourquoi les organisations de santé locales ont besoin de conseils adaptés
Reconnaître que les risques de sécurité diffèrent pour les ONGI et les partenaires de santé locaux a des implications importantes pour la gestion de la sécurité. Élargir la gestion des risques de sécurité aux partenaires locaux nécessite plus que le simple partage des directives initialement créées par les ONGI pour leurs propres opérations. Une gestion efficace et « localisée » des risques de sécurité exige des outils et des conseils spécifiquement conçus pour faire face aux risques uniques et continus auxquels sont confrontés les prestataires de soins de santé locaux dans les situations de conflit.
Les organismes d’aide fournissent depuis longtemps des médicaments et des fournitures essentielles aux établissements de santé locaux qui sont attaqués. Mais ils ont rarement été en mesure d’offrir un soutien complet en matière de sécurité. Assurer la sécurité des soins de santé dans les zones de conflit nécessite un effort à l’échelle du système, avec des mesures concrètes pour réduire, atténuer et prévenir les risques.
Que contient le manuel ?
Insecurity Insight a élaboré le Manuel de gestion des risques de securité pour les service de santé dans les zones instables et touchées par des conflits pour aider les responsables des établissements de santé des pays à revenu faible et intermédiaire à gérer les risques de sécurité. Cet ouvrage s’appuie sur les meilleures pratiques des prestataires de soins de santé internationaux opérant dans les zones de conflit.
Le manuel est disponible en arabe, en langue anglaise et en espagnole. Il fournit des conseils pratiques aux individus ou aux organisations sur la manière de réagir aux incidents violents. Il explique également comment gérer les conséquences de tels événements. Enfin, il souligne la nécessité de trouver un équilibre entre les mesures de protection et la garantie d’un accès continu aux soins de santé.
Les ONG internationales qui souhaitent soutenir la gestion des risques de sécurité dans le cadre de la localisation peuvent utiliser le manuel comme un outil de dialogue et de travail conjoint avec les partenaires locaux. Ce dialogue permet d’identifier les domaines prioritaires dans lesquels les ONG internationales peuvent développer un soutien adapté aux besoins spécifiques des partenaires locaux.
L’avenir de la gestion des risques de sécurité pour le secteur de la santé
Nous reconnaissons que les défis auxquels sont confrontés les travailleurs de la santé aujourd’hui sont énormes. Les conflits prolongés sont devenus la norme et nous assistons à un nombre record de décès de travailleurs humanitaires.
Le nouveau manuel d’Insecurity Insight ne peut pas résoudre entièrement ces défis. Mais c’est un pas dans la bonne direction. Avec ce nouveau guide, nous espérons que les organisations internationales pourront travailler pour fournir aux partenaires locaux le soutien en matière de sécurité dont ils ont vraiment besoin. Cela signifie un soutien pour les communications, le suivi de la situation, la planification d’urgence et bien plus encore – tout ce que vous pouvez trouver dans le manuel.
Plus important encore, nous espérons que ces conseils permettront aux organisations locales de gagner en autonomie. En suivant les recommandations du manuel, les organisations locales peuvent mettre en place des systèmes de gestion des risques de sécurité plus solides, afin de protéger les agents de santé les plus exposés.
Les points de vue et opinions exprimés dans cet article sont uniquement ceux de l’auteur. Ils ne représentent pas nécessairement les points de vue ou la position du GISF ou des employeurs de l’auteur.
À propos de l’auteur
Christina Wille est membre fondatrice et directrice d’Insecurity Insight. Son travail se concentre sur l’amélioration de la collecte de données sur la violence et ses conséquences pour l’aide humanitaire. De nationalité allemande et suisse, Christina est titulaire d’un master en relations internationales et études européennes de l’université de Cambridge.
Related:
Health workers and security: tailored solutions for unique challenges
Insecurity Insight recently published a new handbook on security risk management in the health sector. Christina Wille explains why this is so urgently needed…